Refus d’obtempérer : mort au tournant ?
- avocatlefebure
- 18 sept. 2024
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Le délit de refus d’obtempérer se retrouve souvent propulsé sur le devant de la scène et fait régulièrement les gros titres en raison des conséquences néfastes qu’il a pu avoir ces derniers mois et ces dernières années.
Modifié par une loi du 26 janvier 2022, le refus d’obtempérer est défini à l’article L.233-1 du code de la route comme : « Le fait, pour tout conducteur, d'omettre d'obtempérer à une sommation de s'arrêter émanant d'un fonctionnaire ou d'un agent chargé de constater les infractions et muni des insignes extérieurs et apparents de sa qualité »
Il convient de préciser que le verbe « omettre » ne s’oppose pas au caractère volontaire de l’infraction commise par le conducteur.
A titre d’exemples :
Un gyrophare en fonctionnement et un avertisseur sonore en action en ce qu'ils permettent d'identifier une voiture de police, tiennent lieu de marques distinctives de la qualité des occupants de cette voiture (Rouen, 11 avr. 2011, RG no 10/01073. – Crim. 4 oct. 1990, no 89-81.812. – Crim. 20 mars 2007, no 06-85.805).
La chambre criminelle a aussi approuvé une Cour d'appel qui a considéré que le refus d'obtempérer était caractérisé par le fait que les policiers ont mis en marche leur sirène et leur gyrophare, et se sont portés à hauteur du fourgon, dont le conducteur a refusé de s'arrêter (Crim. 20 mars 2007, préc., Dr. pénal 2007. Chron. 2, obs. Gauvin).
La chambre criminelle a même admis que l'infraction est constituée dès lors qu'il ressort du procès-verbal que le conducteur qui expose n'avoir pas compris les gestes qui lui étaient faits par les agents, a ralenti puis accéléré pour échapper au contrôle (Crim. 27 mars 2001, no 00-85.595 ).
Ainsi, le délit est caractérisé dès lors que les forces de l’ordre se portent au niveau d’un conducteur et/ou lui indiquent de s’arrêter ou de les suivre de manière non équivoque et que le conducteur n’obéit pas à cette injonction.
Il se différencie du délit de fuite en ce que ce dernier correspond à la situation dans laquelle un conducteur a causé un accident et tente de se soustraire à ses responsabilités pénale et civile; une personne pouvant néanmoins être mise en cause pour délit de fuite et refus d’obtempérer si elle est suspectée d’avoir commis les deux infractions.
S’agissant de la répression, le refus d’obtempérer est puni de 2 ans d’emprisonnement et de 15.000 € d’amende, auxquelles peuvent s’ajouter des peines complémentaires telles que la suspension ou l’annulation du permis, la confiscation du véhicule, la réalisation d’un stage de sensibilisation à la sécurité routière, des travaux d’intérêt général ou encore des jours-amendes.
Le délit est aggravé lorsqu’il a été commis dans des circonstances exposant directement autrui à un risque de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente et se trouve ainsi puni de 5 ans d’emprisonnement et 75.000€ d’amende. Lorsqu’il s’agit de forces de l’ordre, les peines sont portées à 7 ans et 100.000€ d’amende.
Si cet acte peut sembler anodin pour certains, il est en réalité lourd de conséquences, tant pour le contrevenant que pour la sécurité publique.
Le délit de refus d’obtempérer est souvent associé à des contextes de fuite après des délits, de courses-poursuites ou même d'affrontements avec les forces de l’ordre. Ce comportement peut entraîner des risques accrus pour le conducteur, les autres usagers de la route, les piétons, ainsi que pour les forces de l’ordre.
De l’affaire Nahel au décès de l’adjudant Comyn à Mougins, le décès de l’auteur, de forces de l’ordre ou de tierces personnes est-il une fatalité ?
Ces incidents soulèvent des interrogations sur la manière dont les forces de l’ordre gèrent ces situations. La réponse policière, notamment l’usage des armes à feu pour stopper les véhicules, fait l'objet d'un débat intense.
Le durcissement des mesures répressives face à ces infractions, et l’usage croissant de la force pour y répondre, ont provoqué des discussions au sein de la société civile. Des voix s’élèvent pour critiquer les interventions policières jugées disproportionnées, alors que d’autres estiment que les forces de l’ordre doivent être en mesure de se protéger et de protéger la population.
Ce délit et son actualité sont-ils symptomatiques de la défiance entre les administrés et les forces de l’ordre ? Doit-on craindre d’être tué en cas de refus d’obtempérer ?
D’après le service statistique ministériel de la sécurité intérieure, sur la période 2016 – 2023, les services de sécurité ont constaté 25 700 délits de refus d’obtempérer routiers en moyenne par an. Ces derniers ont légèrement diminué sur la période (-5 %), avec une hausse entre 2016 et 2021, suivie d’une baisse de 2021 à 2023. Près d’un refus d’obtempérer routier sur cinq est un délit aggravé qui, dans neuf cas sur dix, met en danger d’autres usagers de la route. La part de ces délits aggravés est passée de 16 % en 2016, à 21 % en 2023.
Par conséquent, si le nombre de refus d’obtempérer a baissé sur la période, le nombre de refus d’obtempérer aggravés a quant à lui augmenté, entraînant une augmentation du nombre de décès, lesquels demeurent, et c’est heureux, faibles bien que trop nombreux.
D’une part, la répression a été renforcée ces dernières années et un arsenal législatif est venu faciliter l’usage des armes par les forces de l’ordre à savoir, l’article L.435-1 du code de sécurité intérieure issu de la loi du 02 mars 2017, lequel dispose :
« Dans l'exercice de leurs fonctions et revêtus de leur uniforme ou des insignes extérieurs et apparents de leur qualité, les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale peuvent, outre les cas mentionnés à l'article L. 211-9, faire usage de leurs armes en cas d'absolue nécessité et de manière strictement proportionnée :
1° Lorsque des atteintes à la vie ou à l'intégrité physique sont portées contre eux ou contre autrui ou lorsque des personnes armées menacent leur vie ou leur intégrité physique ou celles d'autrui ;
2° Lorsque, après deux sommations faites à haute voix, ils ne peuvent défendre autrement les lieux qu'ils occupent ou les personnes qui leur sont confiées ;
3° Lorsque, immédiatement après deux sommations adressées à haute voix, ils ne peuvent contraindre à s'arrêter, autrement que par l'usage des armes, des personnes qui cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et qui sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui ;
4° Lorsqu'ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l'usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n'obtempèrent pas à l'ordre d'arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui ;
5° Dans le but exclusif d'empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d'un ou de plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d'être commis, lorsqu'ils ont des raisons réelles et objectives d'estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont ils disposent au moment où ils font usage de leurs armes. »
Ainsi, qu’il s’agisse de refus d’obtempérer ou d’autres infractions, l’usage des armes a été facilité par rapport à la législation antérieure.
D’autre part, la justice met rarement en cause les policiers, notamment pour homicide volontaire, ce qui contribue à les protéger et à leur assurer une forme d’impunité.
A titre d’exemple, le placement en détention provisoire du policier ayant tué Nahel M. était une première pour ce type de faits. Entre début 2022 et mi 2023, quinze personnes avaient été tuées par les forces de l’ordre pour treize refus d’obtempérer. Sur ces treize dossiers, huit ont entraîné des mises en examen dont seulement trois pour homicide volontaire, quand les autres mises en examen ont été justifiées par des faits de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner et que les autres dossiers ont été classés sans suite (source : Le Monde - 05/07/2023)
En tout état de cause, le nombre de policiers décédés des suites d’un refus d’obtempérer n’est pas documenté à ce stade mais on peut déduire qu’ils sont inférieurs aux nombres d’auteurs présumés tués par des tirs policiers.
Dans cette perspective, la hausse des décès s’explique donc par l’augmentation de refus d’obtempérer aggravés et par la facilitation du recours aux armes à feu par les forces de l’ordre.
Toutefois, l’appréciation du recours aux armes par les policiers est très large et sujette à interprétation par l’auteur des tirs et par l’autorité judiciaire.
D’une part, le refus d’obtempérer est un délit, l’auteur se mettant de facto hors-la-loi, exposant autrui et lui même à des périls plus grands que la répression afférente à ce délit.
D’autre part, au-delà de la répression encourue, au vu des risques pour soi et pour autrui, il semblerait plus sage d’obtempérer en tout état de cause puisque les policiers peuvent légalement faire usage de leur arme de service en cas de refus d’obtempérer lorsque leur intégrité ou celle d’autrui est en jeu.
Bien que le danger créé pour autrui soit sujet à interprétation, dans le doute, il vaut donc mieux obtempérer, quitte à s’expliquer plus tard, pour qu’il n’y ait pas mort d’homme, d’un côté comme de l’autre.
En effet, si l’usage des armes à feu et leurs conséquences sont sujettes à caution dans certains dossiers, notamment celui de Nahel, il est par ailleurs légitime de penser que les policiers puissent avoir un droit de riposte en cas de danger de mort imminent, pour eux comme pour autrui.
Ainsi, toute la problématique de ce sujet attrait aux conditions de réalisation du refus d’obtempérer et du caractère proportionné ou non de l’usage des armes. Dès lors, il convient d’analyser les faits dossier par dossier plutôt que de manière générale puisque les citoyens comme les forces de l’ordre doivent être protégés.
Le rôle de l’avocat
Pour les personnes mises en cause pour refus d'obtempérer, l'intervention d’un avocat pénaliste est essentielle. En tant qu’avocat à Paris, mon rôle est de fournir une défense adaptée en fonction des circonstances de l’affaire.
Il est important de rappeler que chaque situation est unique et que les faits doivent être analysés de manière minutieuse : le contexte, la légitimité des sommations de la police, et l'état d’esprit du conducteur au moment des faits sont des éléments déterminants.
De plus, il est crucial de vérifier si les droits du conducteur ont été respectés durant l’interpellation, notamment en cas d’usage de la force ou d’intervention armée des policiers. Le contrôle de la légalité des procédures constitue souvent un levier de défense pour réduire, voire empêcher une condamnation.
En cas de décès, mon rôle sera de vous assister pour que justice soit faite, c’est à dire, qu’il n’y ait pas de classement sans suite, une instruction et finalement une condamnation si les éléments du dossier le permettent.
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